En cette période de crise économique grave, les personnes à la recherche d’un emploi ou d’un stage auront remarqué que les sites de recrutement des entreprises proposent un nombre important de stages. Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) affirme à ce sujet, dans un rapport daté d’octobre 2012, que le nombre de stages effectués chaque année dans notre pays est passé de 600 000 en 2006 à 1 600 000 aujourd’hui. Une hausse spectaculaire sur une très courte période qui nuit à la création de véritables emplois salariés dans notre pays et explique en partie la difficulté à faire diminuer le chômage.
Compétitivité : un stagiaire presque quatre fois moins cher qu’un salarié au SMIC
Pour une rémunération brute mensuelle minimale de 436 € en 2012, sur laquelle elles ne paient pas de cotisations sociales, les entreprises disposent avec les stage d’une arme de « compétitivité » (pour reprendre un terme à la mode) redoutable. Un salarié employé 35 heures hebdomadaires et rémunéré au SMIC coûte plus de 1600 € par mois à son employeur (pour un salaire mensuel brut de 1425 €), soit presque quatre fois plus cher qu’un stagiaire payé au minimum légal.
Le recours aux stages est, en théorie, rigoureusement encadré, mais la quasi-absence de contrôle des abus rend la règlementation en vigueur parfaitement inefficace. Rappelons qu’une convention de stage ne doit pas avoir pour objet, entre autres, un poste permanent ou saisonnier, le remplacement d’une absence due à congé maternité, ni même un accroissement temporaire de l’activité de l’entreprise, alors que ces utilisations sont courantes.
Un outil inadapté à la formation
La forte hausse du nombre de stages dans notre pays est liée en grande partie à l’obligation pour de plus en plus d’étudiants de trouver un stage au cours de leur formation. Plébiscité comme un outil de professionnalisation, le stage obligatoire a fait l’objet d’un lobbying intense ces dernières années de la part des entreprises, à la recherche d’une main-d’œuvre très bon marché, auprès des universités et des grandes écoles, avec un succès certain.
Les étudiants stagiaires n’accèdent malheureusement pas à une véritable formation, organisée et encadrée, qui représenterait un investissement pour les entreprises et donc une incitation à l’embauche, mais apprennent « sur le tas » en réalisant les tâches qui devraient être remplies par un véritable salarié. L’outil le plus adapté à la formation serait l’apprentissage, qui par sa durée (de un à trois ans, en principe deux) et ses modalités pratiques (partage de la semaine de l’étudiant entre cours et présence en entreprise) prépare mieux l’intégration de l’étudiant dans l’entreprise.
Mieux que le défunt Contrat Première Embauche (CPE)
Face aux difficultés éprouvées par de nombreux jeunes diplômés pour trouver un emploi, de nombreux établissements consentent à émettre des « conventions de stage de complaisance », par lesquelles un étudiant arrivé au terme de ses études peut accepter un poste de stagiaire, alors qu’il n’y aurait normalement plus droit. C’est une ironie terrible en considération des manifestations estudiantines massives de 2006 contre le CPE, qui prévoyait la création d’un contrat d’emploi plus précaire que les CDD et CDI en vigueur pour les jeunes de moins de 26 ans, mais à des conditions incomparablement plus favorables que celles d’un stage.
Pistes à explorer
Face à cette situation, une première étape consisterait à ce que l’Etat fasse appliquer la règlementation en vigueur relative aux stages, ce qui signifie concrètement qu’il doit augmenter fortement le nombre d’inspecteurs du travail en charge de déceler les cas de stages abusifs et sanctionner les entreprises et les établissements universitaires fautifs.
Dans un second temps, on pourrait considérer que le fait de faire travailler nos étudiants à temps plein pour quelques centaines d’Euros par mois, sans congés, ni RTT, pour des durées atteignant une année n’est pas digne d’un Etat qui se prétend social et se vante d’avoir l’une des législations du travail les plus protectrices du monde : un stagiaire effectuant en pratique le même travail qu'un salarié, ce qui est le plus souvent le cas, mérite une rémunération équivalente à celle de ce salarié. Ainsi, si un stage doit avoir pour objet de faire travailler un étudiant « dans les conditions réelles » de l’entreprise, pour le préparer à sa future vie professionnelle, ce qui est une chose louable et nécessaire, un CDD classique pourrait faire parfaitement l’affaire et l'existence d'un statut particulier de stage n'est pas indispensable.
Enfin, l'intégration de périodes de stage obligatoire dans la plupart des cursus d'études aujourd'hui a permis, non seulement aux entreprises d'accroître la main-d'oeuvre disponible sur le marché du travail et de tirer les coûts du travail vers le bas, mais également aux établissements d'enseignement supérieur de délivrer des diplômes validant une, deux ou trois années d'études, comprenant en réalité des périodes de stages prolongées et par conséquent des périodes d'études réelles largement inférieures à celles annoncées sur les diplômes. Ceci revêt un intérêt financier considérable pour les établissements concernés, puisqu'ils peuvent économiser les frais associés à l'organisation des cours sur des périodes assez longues (et explique peut-être l'essor des très prisés Masters Spécialisés prévoyant six mois de cours, suivis de six mois de stage, pour un coût supérieur à 10 000 €, ainsi que des Masters II Professionnels fonctionnant sur le même modèle, bien que moins coûteux). Les périodes de stage pourraient plutôt s'effectuer de manière facultative et en dehors des semestres d'études comptant pour la validation des diplômes, comme c'est le cas pour les années de césure. Ceci serait facilité par la possibilité, qui existe chez nos voisins Suisses et Allemands notamment, d'organiser, dans tous nos établissements d'enseignement supérieur, deux rentrées universitaires par an, en septembre/octobre ou en janvier, permettant aux étudiants d'effectuer plus facilement des césures "courtes" entre deux semestres de cours.
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